Stéphane Batut s'entretient avec Serge Kaganski :
« Dans le projet Vif-Argent, qu’est-ce qui est venu en premier : la grande histoire d’amour ou les morts-vivants ?
Rien de ça. Mon point de départ, c’était un assemblage composite des souvenirs que je gardais de personnes rencontrées lors de castings. Qu’ils soient acteurs ou non-professionnels, je leur demande souvent de me raconter un souvenir. Certains de ces souvenirs avaient une dimension universelle, j’ai commencé à les monter ensemble. L’idée était de réaliser un portrait de la ville à travers ces gens rencontrés au hasard des rues. J’ai compris ensuite que celui qui pourrait faire le lien entre ces souvenirs serait une sorte d’alter-ego qui aurait un caractère fantastique. Quand j’écoutais ces histoires, j’y voyais quelque chose de fatal, comme une esquisse du destin de ces personnes. Je voyais en eux, déjà, des fantômes, figures éminemment cinématographiques. L’histoire d’amour est venue ensuite. Si ce spectateur des histoires des autres devait en vivre une à son tour, elle devait être une histoire d’amour : sa découverte de l’amour serait à la fois pour lui la première et la dernière histoire.
Les films de fantômes, de revenants, de morts-vivants sont très nombreux. Aviez-vous des références en tête ?
Mon film n’est fait que de collages, de récits qu’on m’a racontés, que j’ai retranscrits, d’œuvres qui m’ont marqué, de films… J’assume des influences comme Guitry, ou Franju. J’ai piqué plein de choses à des films que j’ai aimés. Je pense que les films sont souvent des réinterprétations d’autres films qui nous ont traversés. Ce que j’aime chez Franju, c’est que son cinéma allie des éléments très fantasmatiques et d’autres très documentaires. J’avais envie que dans ce film ces deux registres s’entrechoquent plutôt qu’ils ne se fondent. Jouer sur des contrastes de couleurs complémentaires. On a filmé les rues, les passants, des acteurs non-professionnels, afin de saisir quelque chose de la ville, de l’époque, qui échappe à la représentation. Quelque chose qui s’impose à nous. Et de manière parallèle, j’ai apposé le fantasme d’un film très fictionnel, fantastique, mélodramatique. Le fantastique et le documentaire se frottent l’un contre l’autre. Des œuvres de Jean Rouch, Abbas Kiarostami ou Charles Burnett m’ont autant influencé que celles de Franju, ce qui peut paraître étrange à la vue du film. »