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TARDES DE SOLEDAD

un film de Albert Serra
Espagne, France, Portugal - 2024 - 125'
SUISA 1022.052
date de sortie: 07.05.2025

À travers le portrait du jeune Andrés Roca Rey, star incontournable de la corrida contemporaine, Albert Serra dépeint la détermination et la solitude qui distinguent la vie d'un torero. Par cette expérience intime, le réalisateur de Pacifiction livre une exploration spirituelle de la tauromachie, il en révèle autant la beauté éphémère et anachronique que la brutalité primitive. Quelle forme d'idéal peut amener un homme à poursuivre ce choc dangereux et inutile, plaçant cette lutte au-dessus de tout autre désir de possession ?

« Albert Serra, le plus contemporain des grands anachroniques, maître de l’antimaîtrise, a fait, avec Tardes de Soledad, en guise de nouveau film après l’inouï Pacifiction (2022), un documentaire sur la corrida, tourné dans les quelques grandes arènes espagnoles où elle est encore autorisée. A moins qu’il ne s’agisse d’un film sur le cinéma : pour ou contre ? Sa seule morale, ou sa méthode, est de ne pas faire les choses à moitié. »
Interview, Albert Serra : « La corrida est un espace de déchaînement de la fatalité », Libération par Luc Chessel

« Très impressionnant dans sa manière d'aboucher ensemble, jusqu'à les rendre indissociables, l'horrible et le sublime. »
Murielle Joudet, compte FB, texte complet en bas de page

« En filmant au plus près le matador Andrés Roca Rey dans Tardes de Soledad, le cinéaste Albert Serra ne signe pas un documentaire sur la corrida mais une méditation sur le regard et la mort. »
Cédric Enjalbert, Philosophie Magazine

« Pas de plans d’ensemble ni de plans de coupe, juste des images rapprochées de combats, manière d’immersion qui devient signature, codification d’un rite qui vire à l’abstraction. Et, de temps en temps, des séquences hors-arène, discussions en voiture, préparatifs à l’hôtel. Comme des pauses entre les différents actes d’une tragédie de la mort qui ne dit pas son nom. «Tardes de soledad» impressionne par sa radicalité, son refus du parti-pris, sa puissance plastique. Serra filme la peur et le sang, la sueur et l’effroi, l’humain et l’animal, et c’est immense. »
Pascal Gavillet, ★★★★★, avec un entretien, Tribune de Genève

« Si Serra va au-delà du point où la corrida doit normalement être vue, c'est pour s'approcher de sa concrétude – le sang, le sable, la boue, l'agonie du taureau, le corps du torero quand il n'est plus seulement une silhouette fardée, ses expressions marquées, ses habits tachés et déchirés –, mais aussi sa part de morbidité et de délire. Il fait avec la corrida ce qu'il faisait avec Don Quichotte dans Honor de cavallería, avec les Rois Mages dans Le Chant des oiseaux ou avec le Roi Soleil dans La Mort de Louis XIV : il ramène des êtres, des rituels ou des récits sacrés à une matérialité originelle, non pas en la désacralisant mais en se situant avant le mythe, avant la sublimation ou, au contraire (mais ça revient au même), dans leur crise terminale, rendus à la matière par la mort imminente. Honor de cavallería montrait Don Quichotte et Sancho Panza avant qu'ils aient été écrits par Cervantes, ou tels qu'ils existeraient dans les interstices du roman. De même, Tardes de soledad montre la corrida avant qu'elle ne soit musique, poésie ou danse (puisqu'elle a souvent été comparée à ces arts) : la corrida décomposée, dépoétisée, toute crue. »
Marcos Uzal, Les Cahiers du Cinéma

« La comédie du pouvoir est ici dévoilée dans son absurdité – c'est un grand sujet chez Serra, de La Mort de Louis XIV (2016), où il s'en prenait déjà à la morbidité du faste et des courbettes royales, à Pacifiction, Tourments sur les îles (2022), où la supposée parole d'autorité d'un haut-commissaire à la République venu de métropole à Tahiti apparaissait comme un sombre baratin, une façon de remplir un vide existentiel. Ici, la bouffonnerie de Roca Rey – Serra insiste sur sa face grimaçante, quasi bestiale, avant qu'il ne plante sa pique dans l'animal – tient surtout au fait que son combat contre le taureau est inéquitable, gagné d'avance. C'est peut-être ce que le cinéaste entend par " après-midi de solitude" (tardes de soledad en espagnol) : à aucun moment Roca Rey ne se bat en duel. Reste que le film nous met devant un dilemme, étant un documentaire et non une fiction. En tant que spectateur de cinéma, est-on témoin ou complice ? Serra ne ne cesse d'interroger cette position, également la sienne comme cinéaste, dès le début de son film avec le regard caméra d'un taureau qui nous dévisage dans une nuit opaque. Ce plan sera répété plus tard au moment même où il meurt – comme si, pour nous hanter, il nous regardait regarder. »
Quentin Grosset, Trois Couleurs

« Comme l’indique son titre, Tardes de Soledad – « Après-midi de solitude » – est avant tout le portrait d’un homme isolé, qui ne connaît de trajet qu’entre sa luxueuse chambre d’hôtel et les portes de l’arène. Des plans-séquences capturent le roi Roca pendant ces moments, depuis le tableau de bord de son minibus, escorté par sa cuadrilla, hors d’atteinte des fans. Lors de l’un d’entre eux, il vient d’échapper à la mort et souffre d’une plaie au thorax, mais son visage reste lisse, stoïque, le regard perdu dans le vague. Assis derrière lui, son péon l’inonde de louanges et exalte sa virilité – « Tu es un surhomme, personne n’a des couilles aussi grosses que toi ! ». À ses côtés, une larme perle discrètement sur le visage d’un de ses picadors. Ici, en un instant, vérité et faux-semblant fusionnent comme dans un tableau de Velázquez qui prendrait vie sous nos yeux. [...] Défiant tout jugement moral, le film se place sous l’égide d’une « vérité extatique », comme l’appelle Werner Herzog. Dénuée de didactisme, antithèse du traité sociologique ou du plaidoyer, celle-ci n’appartiendrait qu’à elle-même selon le cinéaste allemand. Devant Tardes de soledad, les aficionados comme les anti-taurins en seront pour leurs frais. Car l’objet de ce poème épique est ailleurs, dans le tiraillement tautologique entre la mort et sa représentation à l’écran – enjeu du cinéma tout entier. Sans verser dans le romantisme, la dramaturgie du film se resserre sur ce que la corrida, saturée de signes et codifiée à l’extrême, touche au mythe et révèle de l’essence de la condition humaine. »
Julien Bécourt, Mouvement

« Ni pour ni contre, bien au contraire. »
Mathieu Loewer, Le Courrier

« On en vient presque à souhaiter un accident grave. »
La morale presque pleine de Norbert Creutz et du Temps

Très impressionnant le Serra, dans sa manière d'aboucher ensemble, jusqu'à les rendre indissociables, l'horrible et le sublime (cliché, je sais).

Devant le film je me suis dit : tiens il nous livre déjà ce qu'on est venu voir (du sang), alors qu'est-ce qu'il a d'autres à nous raconter ? Comment il va se débrouiller au montage ? Il reste 1h30.

C'est devenu rare de sentir ça, cette sorte de connexion avec le réalisateur derrière sa table de montage, en train de chercher son film, ce qui marche et ce qui ne marche pas.

Puis une corrida, deux corridas...

La première, j'avais les larmes aux yeux de terreur et de beauté. C'est toujours beau, quand il y a si peu de choses dans une image, quand le monde - parfaitement informe - prend forme.

La cinquième, j'étais déjà presque habituée à ce spectacle. Le film s'est refermé comme un piège sur mon oeil : bah alors, tu t'habitues à l'horreur ? Tu en veux plus ? Tu veux quoi ? Qu'est-ce que c'est, un massacre dont on s'habitue ?

Devant la construction répétitive du film, on réfléchit énormément:

- c'est fou à quel point toute cette insupportable boucherie donne à voir, rend incroyablement palpable l'ordre symbolique. Je n'y connais rien à la corrida mais j'ai vraiment vu le film comme une pornographie de symboles tentant de recouvrir la vieille viande du réel.

- l'alternance entre les séquences dans l'arène et les séquences dans la voiture est géniale. C'est presque un discours tenu sur ce qu'est un film, la critique, les discours en sortant de la salle. C'est a dire qu'il faut débriefer le film pour qu'il existe, de même qu'il faut débriefer le réel pour qu'il trouve sa forme (sans quoi pas d'amour, pas d'amitié, pas de travail, pas de vie).

Il me semble que le film parle de ça : de la manière dont, chaque jour, l'alchimie à cours, entre l'ordre du réel et le langage. Le cinéma y introduisant l'Imaginaire - si on veut être complet - c'est pour ça qu'on peut haïr l'idée même de corrida et trouver splendide le film. Peut-être que Serra va aussi là, qu'il est aussi en train de nous dire: attention à l'image, à la séduction qui la fonde. Dans l'ère de la séduction, le travelling n'est plus affaire de morale.

En même temps, une majorité des films contemporains, tous les jours, fonctionnent à la séduction, et celui-ci moins que tous les autres, quand même.

- Et cette hypertrophie virilo-carnavalesque du langage des mecs qui entourent Andrés, déjà elle est absolument magnifique dans sa manière de manier le trivial et le métaphysique, mais surtout, dans sa profusion, elle dit à quel point le réel est insupportable. Sans le langage, la corrida n'est qu'une boucherie.

Alors il faut le recouvrir par une fiction : le taureau est un fils de pute, il était très agressif, il voulait te tuer (non il était en détresse), tu es un surhomme, tu es le meilleur, le plus fort (Andrés a sans doute, comme le taureau, été élevé, dressé pour être un torero). Fils de pute. Va te faire foutre Madrid. Tu leur as cloué le bec. Et puis bien sûr Dieu, qui sauve Andrés de la mort - parce que le hasard est insupportable.

Je pense aussi aux costumes magnifiques dont on ignore l'origine, la tradition, la signification. C'est juste un empâtement de signes, un surcroît de culture au milieu d'un massacre. Quand Andrés est recouvert de sang, ce qui rend les traces de sang si belles, c'est le costume - ou inversement. L'un et l'autre s'orne mutuellement.

- dans la salle, une spectatrice insupportable a pris plusieurs fois l'écran en photo sans même prendre la peine de couper le son de son téléphone qui faisait le bruit d'un appareil photo analogique. En même temps, Tardes de Soledad était le film parfait pour ça. Puisque Serra nous habitue à la mort du Taureau (il y en a plusieurs, mais ils n'en forment qu'un seul, le symbole de ce qui n'a pas de langage et qui est donc condamné à mourir pour ça), il veut qu'on ait envie de voir autre chose, le spectacle est ailleurs: dans l'envie de voir la mort d'Andrés.

Et là le film touche à quelque chose de très puissant : craindre de voir quelque chose, c'est avoir peur de sa propre envie de voir.

Murielle Joudet sur son compte fb